Folk Tale

Le berger et le Rossignol

AuthorJean-Pierre Claris de Florian
LanguageFrench
OriginFrance

Am. l' abbé Delille. ô toi, dont la touchante et sublime harmonie charme toujours l' oreille en attachant le coeur, digne rival, souvent vainqueur, du chantre fameux d' Ausonie, Delille, ne crains rien, sur mes légers pipeaux je ne viens point ici célébrer tes travaux, ni dans de foibles vers parler de poésie. Je sais que l' immortalité qui t' est déja promise au temple de mémoire t' est moins chere que ta gaîté ; je sais que, méritant tes succès sans y croire, content par caractere et non par vanité, tu te fais pardonner ta gloire à force d' amabilité : c' est ton secret, aussi je finis ce prologue. Mais du moins lis mon apologue ; et si quelque envieux, quelque esprit de travers, outrageant un jour tes beaux vers, te donne assez d' humeur pour t' empêcher d' écrire, je te demande alors de vouloir le relire. Dans une belle nuit du charmant mois de mai, un berger contemploit, du haut d' une colline, la lune promenant sa lumiere argentine au milieu d' un ciel pur d' étoiles parsemé ; le tilleul odorant, le lilas, l' aubépine, au gré du doux zéphyr balançant leurs rameaux, et les ruisseaux dans les prairies brisant sur des rives fleuries le crystal de leurs claires eaux. Un rossignol, dans le bocage, mêloit ses doux accents à ce calme enchanteur ; l' écho les répétoit, et notre heureux pasteur, transporté de plaisir, écoutoit son ramage. Mais tout-à-coup l' oiseau finit ses tendres sons. En vain le berger le supplie de continuer ses chansons. Non, dit le rossignol, c' en est fait pour la vie ; je ne troublerai plus ces paisibles forêts. N' entends-tu pas dans ce marais mille grenouilles coassantes qui par des cris affreux insultent à mes chants ? Je cède, et reconnois que mes foibles accents ne peuvent l' emporter sur leurs voix glapissantes. Ami, dit le berger, tu vas combler leurs voeux ; te taire est le moyen qu' on les écoute mieux : je ne les entends plus aussitôt que tu chantes.


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