Folk Tale

Le Dervis, la Corneille et le faucon

AuthorJean-Pierre Claris de Florian
LanguageFrench
OriginFrance

Un de ces pieux solitaires qui, détachant leur coeur des choses d' ici bas, font voeu de renoncer à des biens qu' ils n' ont pas. Pour vivre du bien de leurs freres, un dervis en un mot, s' en alloit mendiant et priant, lorsque les cris plaintifs d' une jeune corneille par des parents cruels laissée en son berceau, presque sans plume encor, vinrent à son oreille. Notre dervis regarde, et voit le pauvre oiseau alongeant sur son nid sa tête demi-nue : dans l' instant, du haut de la nue, un faucon descend vers ce nid, et, le bec rempli de pâture, il apporte sa nourriture à l' orpheline qui gémit. ô du puissant Allah providence adorable ! S' écria le dervis : plutôt qu' un innocent périsse sans secours, tu rends compatissant des oiseaux le moins pitoyable ! Et moi, fils du très-haut, je chercherois mon pain ! Non, par le prophete j' en jure : tranquille désormais, je remets mon destin à celui qui prend soin de toute la nature. Cela dit, le dervis, couché tout de son long, se met à bayer aux corneilles, de la création admire les merveilles, de l' univers l' ordre profond. Le soir vint, notre solitaire eut un peu d' appétit en faisant sa priere : ce n' est rien, disoit-il ; mon souper va venir. Le souper ne vient point. Allons, il faut dormir ; ce sera pour demain. Le lendemain l' aurore paroît, et point de déjeûner. Ceci commence à l' étonner ; cependant il persiste encore, et croit à chaque instant voir venir son dîner. Personne n' arrivoit ; la journée est finie, et le dervis à jeun voyoit d' un oeil d' envie ce faucon qui venoit toujours nourrir sa pupille chérie. Tout-à-coup il l' entend lui tenir ce discours : tant que vous n' avez pu, ma mie, pourvoir vous-même à vos besoins, de vous j' ai pris de tendres soins ; à présent que vous voilà grande, je ne reviendrai plus. Allah nous recommande les foibles et les malheureux : mais être foible, ou paresseux, c' est une grande différence. Nous ne recevons l' existence qu' afin de travailler pour nous ou pour autrui. De ce devoir sacré quiconque se dispense est puni de la providence par le besoin ou par l' ennui. Le faucon dit et part. Touché de ce langage, le dervis converti reconnoît son erreur, et, gagnant le premier village, se fait valet de laboureur.


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