Folk Tale

Bout-d'-Canard

Translations / Adaptations

Text titleLanguageAuthorPublication Date
DrakestailEnglishAndrew Lang1890
AuthorCharles Marelle
Book TitleAffenschwanz et Cetera: variantes orales de contes populaires
Publication Date1888
ATU715
LanguageEnglish
OriginFrance

Bout-d'-Canard était tout petit, et c'est pour cela qu'on l'appelait Bout-d'-Canard, mais tout petit qu'il fût, il avait de la tête, et il s'entendait à son affaire, car après avoir commencé avec rien, il avait fini par amasser cent écus. Or le roi du pays, qui était très dépensier et qui n'avait jamais d'argent, ayant appris que Boutd' -

Canard en avait, s'en vint un jour en personne lui emprunter son magot ; et, dame, dans les premiers temps, Bout-d' -Canard n'était pas qu'un peu fier d'avoir prêté de l'argent au roi. Mais lorsqu'au bout d'un an et deux ans, il vit qu'on ne songeait même pas à lui payer ses intérêts, il commença à s'inquiéter, tellement, qu'à la fin il résolut d'aller lui-même trouver Sa Majesté pour se faire rembourser. Et un beau matin voilà Bout-d'-Canard bien pimpant et gaillard qui se met en route en chantant : « Quand, quand, quand ! me rendrez-vous mon bel argent?»

Il n'avait pas fait cent pas, qu'il rencontra compère le Renard en tournée par là.

- Eh, bonjour, voisin, dit le compère, où donc allons-nous si matin?

- Je vais chez le roi, chercher ce qu'il me doit.

- Oh, prends-moi avec toi !

Bout-d'-Canard se dit:« On n'a jamais trop d'amis ... »

- Je veux bien, lui dit-il ; mais avec tes quatre pattes, tout à l'heure tu seras las.

Fais-toi tout petit, entre dans mon gosier, va dans mon gésier, et je te porterai.

- Eh, la bonne idée ! dit compère le Renard ..

Il prend ses cliques et ses claques et, leste, le voilà passé comme une lettre à la poste.

Et Bout-d'-Canard repart tout pimpant et gaillard, et toujours chantant : « Quand, quand, quand ! me rendrez-vous mon bel argent?»

Il n'avait pas fait cent pas, qu'il rencontre ma commère l'Échelle accotée à son mur.

- Eh, bonjour donc, mon petit caneton ! lui dit la commère ; où donc vas-tu si résolu ?

- Je vais chez le roi, chercher ce qu'il me doit.

- Oh, prends-moi avec toi !

Bout-d'-Canard se dit:« On n'a jamais trop d'amis ... »

- Je veux bien, lui dit-il, mais avec tes jambes de bois tout à l'heure tu seras lasse. Fais-toi toute petite, entre dans mon gosier, va dans mon gésier, et je te porterai.

- Oh, la bonne idée ! dit ma commère l'Échelle.

Et, preste, elle prend ses cliques et ses claques, et s'en va tenir compagnie à compère le Renard.

Et : « Quand, quand, quand ! » Bout-d'-Canard repart en chantant, gaillard comme devant.

Cent pas plus loin, il rencontre sa bonne amie, ma commère la Rivière, qui se promenait tranquillement au soleil.

- C'est toi, mon chérubin, lui dit-elle, où vas-tu donc si seul, la queue en trompette, par ce vilain chemin ?

- Je vais chez le roi, tu sais, chercher ce qu'il me doit.

- Oh, prends-moi avec toi !

Bout-d'-Canard se dit: « On n'est jamais trop d'amis.»

- Je veux bien, lui dit-il ; mais toi qui dors en marchant, tout à l'heure tu seras lasse. Fais-toi toute petite, entre dans mon gosier, va dans mon gésier, et je te porterai.

- Ah, la bonne idée ! dit ma commère la Rivière.

Elle prend ses cliques et ses claques et, glou, glou, glou, elle s'en va se loger entre compère le Renard et ma commère l'Échelle.

Et : « Quand, quand, quand ! » Bout-d'-Canard repart en chantant.

Un peu plus loin il rencontre encore le camarade Guêpier qui faisait manœuvrer ses guêpes.

- Eh, bonjour donc, l'ami Canard, dit-le camarade Guêpier où donc va-t-on si pimpant, si gaillard ?

- Je vais chez le roi, chercher ce qu'il me doit.

- Oh, prends-moi avec toi !

Bout-d'-Canard se dit:« On n'a jamais trop d'amis ... »

- Je veux bien, lui dit-il, mais avec ton. bataillon à traîner, tout à l'heure tu seras las. Fais-toi tout petit, entre dans mon gosier, va dans mon gésier, et je te porterai.

- Parbleu, c'est une idée ! dit le camarade Guêpier.

Et, par file à gauche ! il s'en va par le même chemin retrouver les autres avec tout son monde. Il n'y avait plus grand-place, mais n se serrant un peu ... Et

Bout-d'-Canard reprend sa course et sa chanson.

Il arriva ainsi à la capitale, et enfila tout droit la grande rue, toujours courant et chantant : « Quand, quand, quand ! me rendrez-vous mon bel argent ? » au grand étonnement des bonnes gens, jusqu'au palais du roi.

Il frappe du marteau : « Toc, toc ! »

- Qui est là ? demande le portier en passant la tête par son guichet.

- C'est moi, Bout-d'-Canard. Je veux parler au roi.

- Parler au roi ... c'est bientôt dit. Le roi dîne et il n'aime pas qu'on le dérange.

- Dis-lui que c'est moi et que je viens il sait bien pourquoi. Le portier referme son guichet et monte dire cela· au roi, qui venait justement de se mettre à table, la serviette au cou, avec tous ses ministres.

- C'est bon, c'est bon, dit le roi en riant, je sais ce que c'est; qu'on le fasse entrer et qu'on le mette avec les dindons et les poulets.

Le portier redescend :

- Donnez-vous la peine d'entrer.

- Bon ! se dit Bout-d'-Canard, je vais voir comment on ange à la cour.

- Par ici, par ici, fait le portier. Encore un pas ... là ... vous êtes.

- Comment ! comment ! à la basse-cour ? Pensez si Bout-d'-Canard était vexé !

- Ah, c'est comme ça ! dit-il. Attendez, je vous forcerai bien me recevoir :

« Quand, quand, quand ! me rendrez-vous mon bel argent ? »

Mais les dindons et les poulets sont des bêtes qui n'aiment pas qu'on soit autrement qu'elles; lorsqu'ils virent le nouveau venu, comme il était fait, et qu'ils l'entendirent crier ainsi, ils commencèrent à le regarder de travers : « Qu'est-ce que c'est? Que veut celui-là ? » Finalement ils coururent sur lui tous ensemble pour l'abîmer à coups de bec.

« Je suis perdu ! » se disait déjà Bout-d'-Canard, lorsque par bonheur il se rappela son ami, compère le Renard, et il s'écria :

- Renard ! Renard ! dépêche et sors, ou je suis un bout de canard mort.

Aussitôt compère le Renard qui n'attendait que ce mot-là se dépêche de sortir, il se jette sur la méchante volaille, et couic, couac ! il l'étrangle à belles dents, si bien qu'au bout de cinq minutes il n'en restait pas un en vie.

Et Bout-d'-Canard bien content se remet alors à chanter : « Quand, quand, quand ! me rendrez-vous mon bel argent?»

Quand le roi qui était encore à table entendit ce refrain et que la gardeuse d'oies vint lui apprendre dans quel état était sa bassecour, il se fâcha terriblement. Il commanda qu'on jetât ce maudit bout de canard dans le puits pour en finir avec lui.

Et ce fut fait comme il avait dit.

Bout-d'-Canard désespérait déjà de se retirer d'un trou si profond; lorsqu'il se rappela son amie, ma commère l'Échelle.

- L'Échelle ! L'Échelle ! s'écria-t-il, dépêche et sors, ou je suis un bout de canard mort !

Ma commère l'Échelle qui n'attendait que ce mot-là se dépêche de sortir, elle appuie ses deux bras sur la margelle du puits, Boutd'-Canard grimpe alors lestement sur son dos, et, hop ! le voilà dans la cour, où il se remet à chanter de plus belle.

Quand le roi, qui était encore à table et qui riait du bon tour qu'il avait joué à son créancier, l'entendit de nouveau réclamer son argent, il entra dans une colère bleue.

Il commande qu'on chauffe le four et qu'on y jette ce bout de canard maudit, qui bien sûr devait être sorcier.

Le four fut bientôt chaud, mais Bout-d'-Canard, cette fois, n'avait pas si peur; il comptait sur sa bonne amie, ma commère la Rivière.

- Rivière ! Rivière ! s'écria-t-il, dépêche et sors, ou je suis un bout de canard mort !

Ma commère la Rivière se dépêche de sortir, et, rrrouf ! elle s'élance dans le four, qu'elle inonde avec tous les gens qui l'avaient allumé ; puis elle se répand en grondant dans la cour du palais à plus de quatre pieds de haut

Et Bout-d'-Canard bien content se met à nager en chantant à tue-tête : « Quand, quand, quand! me rendrez-vous mon bel argent?»

Le roi était toujours à table et se croyait bien sûr de son affaire ; mais lorsqu'il entendit de nouveau chanter Bout-d'-Canard et qu'on lui eut appris tout ce qui s'était passé, il devint furieux et se leva de table en brandissant les poings.

- Qu'on me l'amène, que je lui coupe le cou ! s'écrie-t-il, qu'on me I' amène vite !

Et vite, deux valets courent chercher Bout-d'-Canard.

- Enfin ! se disait le pauvret en montant les grands escaliers, on se décide donc à me recevoir !

Imaginez-vous son effroi, lorsqu'en entrant il voit le roi rouge comme un coq et tous ses ministres qui l'attendaient debout, le sabre à la main. Il crut que cette fois c'en était fait de lui. Heureusement il se souvint qu'il lui restait encore un ami, et il s'écria d'une voix mourante:

- Guêpier, Guêpier, mon brave, dépêche et sors, ou je suis un bout de canard mort !

Mais c'est ici que tout va changer de face !

Bs ! bs ! à la baïonnette! Le brave Guêpier débouche avec toutes ses guêpes.

Elles s'élancent sur l'enragé de roi et ses ministres, et les piquent si furieusement au visage qu'ils en perdent la tête et que, ne sachant où se fourrer, ils sautent tous pêle-mêle par la fenêtre et se cassent le cou sur le pavé.

Voilà Bout-d'-Canard bien étonné, tout seul dans la grande salle et maître du terrain. Il n'en revenait pas.

Bientôt pourtant il se rappela ce qu'il était venu faire au palais, et profitant de l'occasion, il se mit à la recherche de son cher argent. Mais il eut beau fouiller dans tous les tiroirs, il ne trouva rien : tout avait été dépensé.

En furetant ainsi de chambre en chambre, il arriva à celle où était le trône, et se sentant fatigué, il s'assit dessus pour rêver à son aventure.

Cependant le peuple avait trouvé son souverain et ses ministres les quatre fers en l'air sur le pavé, et il s'était répandu dans le palais pour savoir comment cela était arrivé. Lorsque en entrant dans la salle du trône, la foule vit qu'il y avait déjà quelqu'un sur le siège royal, elle éclata en cris de surprise et de joie : « Le roi est mort, vive le roi ! C'est le ciel qui nous l'envoie. »

Bout-d'-Canard, qui ne s'étonnait plus de rien, accueillit les acclamations du peuple comme s'il n'eût jamais fait que cela de sa vie.

Quelques-uns murmuraient bien que ce serait un beau roi qu'un bout de canard ; ceux qui le connaissaient répondirent qu'un bout de canard bon ménager valait encore mieux pour roi qu'un panier percé comme celui qui gisait sur le pavé.

Bref, on courut ôter la couronne de la tête du défunt et on en coiffa Bout-d'-

Canard, à qui elle allait comme de cire.

C'est ainsi qu'il devint roi.

- Et maintenant, dit-il après la cérémonie, mesdames et messieurs, allons souper ! Je me sens l'estomac creux.


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