Folk Tale

L'hyène et sa folie prétentieuse

Translated From

Namakɔrɔba halakilen

AuthorCharles Bailleul
Book TitleBamanan : Langue et culture Bambara
Publication Date0
LanguageBambara
AuthorCharles Bailleul
LanguageFrench
OriginMali

Ce conte s’inspire de la vie en société des bêtes de la brousse… Un jour, Korojara, le lion, se reposait songeant au vieux cours du monde. Il le regrettait. Les nouveaux comportements n’étaient pas bons : les épouses n’obéissent plus aux maris, les enfants n’obéissent plus à leur père et les cadets n’obéissent plus aux aînés. Il soupira : ‘Ah ! si je ne trouve pas une solution, la situation va empirer, je vais convoquer une réunion !’

Le lion rugit sa plainte dans la brousse : ‘Huuun ! la vie ! Huuun ! la vie !’, sûr que les autres bêtes en l’entendant, se mettraient en route, pressentant un grave problème… Elles se lèvent aussitôt et foncent vers le lieu de réunion… Le ciel se couvre d’un nuage de poussière. Les moustiques, eux, se planquent dans les oreilles de l’éléphant… Or, si tous les participants étaients sots, l’hyène mâle, lui, dont on allait traiter le cas, était carrément fou, les autres ne l’étaient pas. Il se précipite pour devancer tout le monde, avalant les distances au point de les rapetisser, de faire sept fois le tour du plateau de ralliement et de s’offrir même le luxe d’un petit somme avant que les autres n’arrivent…Les moustiques disent à Sama l’éléphant : ‘Eh ! grand frère ! Freine un peu ! Sinon, à cette allure et avec ta masse, tu ne pourras pas t’arrêter à hauteur du Lion. Or, personne ne doit le dépasser tant soit peu, même en le prévenant. (Il faut dire que la distance à parcourir valait bien celle de Falajè-brousse à Bamako, soit : 80 km). Ils lui disent donc de tenir compte de sa masse en mouvement …

Quand tous sont arrivés, Hyène interpelle Sonsan, le lièvre, leur arbitre-chef. ‘Petit frère Sonsan, je suis arrivé le premier. C’est moi qui suis arrivé le premier. Aussi, quel que soit le motif de la convocation, surtout s’il est bon, je dois être privilégié, car je suis arrivé le premier.’ Sonsan lui répond : ‘C’est bien entendu !’ La réunion commence. Le lion s’adresse à l’assemblée : ‘ La vie se complique, dit-il. Les gens n’ont plus de responsabilités, et, quand ils en ont, ils n’en tiennent pas compte. Alors, voilà : j’ai trois filles en âge d’être mariées, mais quelle doit être la dot à fournir, en argent ou en or ? Personne d’entre vous n’en saura rien. Que chaque prétendant fasse ses préparatifs. Le jour de la noce, celui qui vaincra tout le monde, sera le champion. On lui donnera l’épouse’. Hyène approuve : ’C’est parfait !’ (S’il répond ainsi, c’est qu’il est fou. Les autres sont sots, mais ne sont pas fous. Ils sont capables de garder la mesure comme le commun du peuple. Hyène s’entête, car il est fou…)

Ils s’en vont faire leurs préparatifs : qui, de l’argent, qui, de l’or, et commencent à se diriger vers la clairière pour l’apporter.Vient le moment pour le lion de réaliser son plan. Korojara dit à Sonsan : ‘Petit frère Sonsan, prends ton tambour de griot et annonce aux gens la date du mariage, que tous se présentent pour son organisation !’ Avant même qu’il ne prenne son tambourin surgit une inquiétude : ‘Où va-t-on garder les cadeaux que les prétendants sont en train d’apporter?' On convoque et interroge le chef des tisserins : ’Qu’en est-il de la case nuptiale ?’ (Ecoutez bien comment les époux tisserins se répondent, cela vous permettra de connaître les bonnes règles à observer entre nous, les humains, spécialement entre les époux). Les tisserins répondent : ‘Ce n’est pas une tâche difficile, car nous sommes capables de bâtir un hameau en une heure de temps. Nous sommes nombreux, et, de plus, travailleurs.’

Les oiseaux se rassemblent sur le chantier. Aussitôt le tisserin mâle se met à piailler abondamment : ‘Datyo, Datyo, Kontyè, Kontyè ! L’herbe manque, les feuilles de bambou manquent ! Eh ! Comment va-t-on faire ? Comment va-t-on faire ?’ Il n’arrête pas de piailler. Comment répond sa dame ? : ‘Mon mari se met d’emblée à piailler sans arrêt dèrètètètè ! à mettre sa bouche en feu nènènènè ! Il ne prend pas le temps de réfléchir ou de donner du réconfort.’ Ce sont là les propos de dame tisserin, mais ils ne doivent surtout pas être entendus des enfants. Qu’ils apprennent (plutôt) ce que leur père ne sait pas faire, car il peut être comme un étranger dans sa maison. (Ce sont là les conseils de dame tisserin à l’intention des enfants. Il faut en retenir ceci : même si un époux ne cesse de récriminer, l’épouse ne doit pas prendre le parti des enfants contre le mari, elle doit conseiller le mari, puis, les enfants. Son rôle est de donner des conseils). Finalement maître tisserin a répondu : ‘L’an dernier, j’ai tressé ma chaumière, l’an dernier j’ai tressé ma chaumière (en un rien de temps) ntènènènènè ! Cette année, je la tresserai encore plus vite.’ Ce fut sa réplique.

Alors les jeunes tisserins se précipitent, ils foncent dans les bois. Les uns lacèrent les feuilles, d’autres les retiennent, d’autres les entrelacent. En un clin d’œil, la case est terminée, au point que petit frère Sonsan vient les féliciter. ‘Vraiment, tisserins, vous avez été diligents, vous pouvez maintenant laisser le travail de la case.’

Sitôt le travail arrêté, Sonsan prend sa monture alezane : il s’accroupit sur le dos de l’aigle martial avec son tambourin. Du haut du ciel, il en joue, tandis que l’aigle proclame : ‘Frères, allons au marché rocailleux !’. C’est là son message. (Bon, ce marché rocailleux, de quoi s’agit-il ? Il peut, en fait, désigner tout lieu de réunion où l’on doit traiter une affaire difficile). Tout le monde s’y rend en hâte.

Une fois tous rassemblés, (on procède à l’inscription). Hyène demande alors à être inscrit le premier sur la liste, car il est arrivé le premier. Une fois inscrit, on interroge : ‘Qui d’autre veut s’inscrire ?’ Hyène lui-même intervient en disant : ‘Qu’on note le nom du bouc à côté du mien !’. On le note. Cela fait, on demande qui sera le suivant. ‘Inscris le nom du chat !’ Une fois inscrit, on demande qui inscrire près du chat. ‘La souris.’ 'Et ensuite ?’ ‘Ecris l’épervier, suivi du poulet, dit Hyène. Ce sera tout. D’abord, nous six, nous lutterons en combat singulier pour ces trois filles à marier. Si nous échouons, on pourra chercher d’autres prétendants, sinon, c’est la procédure que nous allons suivre.'

Le lièvre part en informer le lion. Le lion acquiesce en ces termes : ‘Petit frère Sonsan, on dit en proverbe : ’Il n’y a pas de risque à fracasser la tête du singe qui le demande.’ Hyène est tout simplement détraqué, quoi que tu fasses, surtout ne l’épargne pas. Il ne sera que sa propre victime, sinon, personne ne sera responsable de sa mort. Un détraqué se fait la guerre à lui-même, sinon, un niais, quand on lui donne des conseils, il est capable de les écouter, il ne se fait pas la guerre à lui-même. Par contre, un détraqué peut se livrer lui-même à la mort. Que Dieu nous préserve tous de cette folie !’

Tous se retrouvent alors sur le champ de bataille. Hyène dit : ‘Qu’on en vienne tout de suite au combat inéluctable. Entonnons l’air du fétiche komo, qui est on ne peut plus expéditif et constitue la solution finale.’ Petit frère Sonsan s’exclame : ‘Quoi ? l’air du komo !’

‘Oui, l’air du komo !’ ‘Entonner l’air du Komo pour une noce !’ ‘Parfaitement !’ Le lion approuve : ‘Ça va, c’est bien. Faisons comme ça ! Quelle que soit l’issue, elle sera publique !’

A peine cette décision était-elle prise que le jeune chat s’écrie : ‘Assemblée ! Ecoutez ! Pour ma part, je renonce à la jeune mariée et la donne à la souris, mais nous n’aurons plus rien à voir ensemble sur terre. En effet, qui ne sait pas patienter, finit par faire tort à son prochain et ensuite offense Dieu. Je veux garder mon honneur. Je renonce. Que Souris prenne l’épouse ! ‘ ‘C’est bon, c’est d’accord !’. L’épervier, lui aussi déclare : ‘Que le poulet prenne la femme, car, lui, sait faire la cour, il sait se composer un air et plaisanter, moi, je ne sais pas. Depuis que Dieu m’a créé, je n’ai pas de noir dans les yeux, encore moins de blanc. Je ne sais pas prendre un air joyeux. Quand je rencontre un impudent, aussitôt je me fâche.’ Lui aussi renonça à la femme. L’assemblée demande alors à Hyène : ‘Et toi ! qu’en est-il ? Tu ne renonces pas ?’ ‘Jamais de la vie ! Arrivera ce qui arrivera !’ ‘Et toi, bouc ?’ ‘Je ne renonce pas ! Comme dit l’adage ‘faute de bataille, on ne peut pas connaître le vainqueur. Que le tambour donne le signal et on va connaître l’issue de ce combat singulier.’

Il existe en brousse un (grand) oiseau appelé ‘Bon’ (aigle). C’est un joueur de tambour. Son nom d’origine est l’oiseau-griot et il était autrefois pour nous l’oiseau des fêtes, mais ce joueur de tambour, on a changé son nom pour l’appeler ‘Bon’.

Le combat singulier allait commencer. L’aigle avait convoqué ses acolytes : le petit pique-boeufs, joueur de ‘cun’, le ‘vanneau', joueur de ‘baraden’ et le canard, joueur de ‘pintin’. (Celui-là, dès qu’il a aplati son bec, les autres tambours de l’orchestre n’ont plus besoin de rien, ils se basent sur lui). Le petit pique-boeufs s’est avancé. Il s’avance encore. Il se met à jouer, rend les roulements plus vifs et transmet des paroles humaines. Chaque joueur les retransmet. Les joueurs de ‘baraden’ et de ‘pintin’ ont passé leur tambour à la flamme et les ont fait résonner aux oreilles… Quand tous eurent fini de parler le langage des hommes, ils grimpèrent sur la terrasse pour regarder le combat singulier.

Hyène dit : ‘Commençons !’ Dans sa pensée, le bouc va faire telle manœuvre… Pas du tout ! Il prend ses distances. Les anciens disaient : ‘Si tu vois un bouc en terrasser un autre, c’est qu’il est adossé à un mur’. C’est ce que le bouc a fait. Hyène s’approche et s’agite dans tous les sens… Le bouc porte sa petite veste bien serrée à la taille, il lève ses deux petits doigts et lance par trois fois son cri : ‘Booon ! Booon ! Booon ! Ce sera difficile, ce sera difficile !’. Ils s’affrontent… Pendant que l’hyène se balance, le bouc lance ses deux pattes avant vers le ciel ɲɛsenwu, puis en frappe le sol jɛsɛ ! et frotte doucement sa barbiche à même la terre. C’est sa manière de danser comme ça !

Aussitôt la jeune mariée s’en éprend et l’applaudit… Mais voilà, ce n’est pas du goût de l’hyène. Tandis que le bouc sa pavane sans vergogne, Hyène l’attaque gorowu ! Bouc est à sa merci. Il pousse trois hurlements : ‘Ha, Ngala !... Kuuku ! … He leyu !’ (Quand, en bambara, on entend crier ‘leyu’ (au secours !), tout le monde dresse l’oreille).

On accourt voir en demandant : ‘Que s’est-il passé, Hyène ?’. Il ne répond mot. Il grogne : ‘Rien, laissez-nous nous battre ! Sinon, ça ne peut pas marcher.’ (Quand on voit des gens se quereller, on intervient en disant : ‘Séparez-vous ! Cessez de vous battre !) Hyène n’a pas su quoi répondre. ‘Allons donc à la cour du lion pour qu’il juge le cas !’ – ‘Non, dit Hyène, bouc m’a humilié et traité avec mépris. De sa bouche, il a fait ‘Npu !’. – ‘Il n’a rien fait de plus ? (ce n’est que cela ?)’- ‘Il m’a méprisé !’ – ‘Bouc, qu’en est-il ?’ (quelle est ta version ?’ – ‘Ce n’est pas ça du tout ! Mais, comme je dansais élégamment devant ma future, elle m’a applaudi et Hyène en a fait aussitôt un sujet de querelle contre moi.’ – ‘Hyène, disent-ils alors, ne devrais-tu pas, toi aussi, apprendre à danser élégamment pour séduire la future mariée ?’ Et Hyène de répondre : ‘En dehors de ‘Wuyi’ est-ce que je connais un autre pas de danse ?’ Il jette son cri et tourne le dos.

Le bouc en profite pour danser de nouveau. Il lève ses deux petits doigts en criant : ‘Boon ! Jouez du tambour avec ardeur ! Boon !’ Les tambourineurs s’animent. Bouc frappe le sol de ses deux petites pattes et caresse le sol de sa barbichette. Aussitôt, la femme, émerveillée, va s’agenouiller devant le bouc… alors tous les animaux présents quittent la clairière en déclarant : ‘Allons-nous-en ! sinon, bouc va nous rendre tous jaloux.’ Ils décident d’apporter leurs cadeaux, or ou argent, et les déposent aux pieds du bouc dont l’orgueil s’amplifie.

Hyène, furieux, fait brusquement demi-tour et se casse l’épaule, baba ! En voyant son épaule cassée, petit frère Sonsan lui dit : ‘Voilà ! tu peux maintenant danser élégamment. Ne t’arrête pas !’ (C’est à cette occasion là-bas que l’hyène a appris à courir sur trois pattes). Hyène essaie de soutenir sa patte avant avec l’autre, mais c’est encore pire !... La poussière s’élève… Le lion, lui, couché, ferme les yeux. Il sait que tout va bien pour lui, qu’aucun malheur ne peut l’atteindre là-bas, qu’aucune bête n’osera venir l’offenser.

Hyène et Bouc sont en plein combat. En effet, à peine la foule a-t-elle déposé ses cadeaux pour honorer le bouc, que la fureur a submergé Hyène. Malgré son épaule cassée, il bondit sur Bouc en déclarant : ‘Nous allons à l’inévitable ! Je vais exterminer la race caprine !’ Il saisit à la gorge le bouc qui se met à hurler : ‘C’est un vrai meurtre ! C’est un assassinat !’.

Aussitôt, l’aigle ravisseur qui jouait le gros tambour, fonce sur Hyène, lui donne un bon coup et l’envoie au loin heurter les autres animaux. A sa suite Gwèdènin lui aussi entre dans la bagarre et le soulève dans les airs. (Les génies et les hommes ne sont pas comparables !). Ils attrapent Hyène en plein vol, le ramènent et le plaquent au sol en lui disant : ‘ N’avais-tu pas toi-même envisagé que malheur s’ensuive ? Qui donc est l’infortuné ? C’est toi, Hyène ! N’as-tu pas dit que ce combat singulier ne serait pas facile ? Il a été rude pour qui ? Pour toi, Hyène !

Morale à retenir : chaque fois que des hommes s’affrontent, c’est une affaire de chance. La richesse ou la pauvreté n’ont rien à y voir. Il ne faut pas se prétendre vainqueur au-dessus de tous les autres, mais se tenir à sa place, comme les autres concurrents. Chercons plutôt à nous accorder et à nous entendre… Dans ce conte, celui qui a agi ainsi et montré à chacun quelle est sa place, c’est le lion. Le respect qu’on doit avoir les uns pour les autres, les animaux nous l’ont bien montré à nous les humains. Nous aussi devons faire en sorte de ne pas nous tromper les uns sur les autres, de ne pas mettre quelqu’un à une place qui ne lui revient pas.


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