Folk Tale

L'éducation du Lion

AuthorJean-Pierre Claris de Florian
LanguageFrench
OriginFrance

Enfin le roi lion venoit d' avoir un fils ; par-tout dans ses états on se livroit en proie aux transports éclatants d' une bruyante joie : les rois heureux ont tant d' amis ! Sire lion, monarque sage, songeoit à confier son enfant bien aimé aux soins d' un gouverneur vertueux, estimé, sous qui le lionceau fît son apprentissage. Vous jugez qu' un choix pareil est d' assez grande importance pour que long-temps on y pense. Le monarque indécis assemble son conseil : en peu de mots il expose le point dont il s' agit, et supplie instamment chacun des conseillers de nommer franchement celui qu' en conscience il croit propre à la chose. Le tigre se leva : sire, dit-il, les rois n' ont de grandeur que par la guerre ; il faut que votre fils soit l' effroi de la terre : faites donc tomber votre choix sur le guerrier le plus terrible, le plus craint après vous des hôtes de ces bois. Votre fils saura tout s' il sait être invincible. L' ours fut de cet avis : il ajouta pourtant qu' il falloit un guerrier prudent, un animal de poids, de qui l' expérience du jeune lionceau sût régler la vaillance et mettre à profit ses exploits. Après l' ours, le renard s' explique, et soutient que la politique est le premier talent des rois ; qu' il faut donc un mentor d' une finesse extrême pour instruire le prince et pour le bien former. Ainsi chacun, sans se nommer, clairement s' indiqua soi-même : de semblables conseils sont communs à la cour. Enfin le chien parle à son tour : sire, dit-il, je sais qu' il faut faire la guerre, mais je crois qu' un bon roi ne la fait qu' à regret ; l' art de tromper ne me plaît guere : je connois un plus beau secret pour rendre heureux l' état, pour en être le pere, pour tenir ses sujets, sans trop les alarmer, dans une dépendance entiere ; ce secret, c' est de les aimer. Voilà pour bien régner la science suprême ; et, si vous desirez la voir dans votre fils, sire, montrez-la lui vous-même. Tout le conseil resta muet à cet avis. Le lion court au chien : ami, je te confie le bonheur de l' état et celui de ma vie ; prends mon fils, sois son maître, et, loin de tout flatteur, s' il se peut, va former son coeur. Il dit, et le chien part avec le jeune prince. D' abord à son pupille il persuade bien qu' il n' est point lionceau, qu' il n' est qu' un pauvre chien, son parent éloigné ; de province en province il le fait voyager, montrant à ses regards les abus du pouvoir, des peuples la misere, les lievres, les lapins mangés par les renards, les moutons par les loups, les cerfs par la panthere, par-tout le foible terrassé, le boeuf travaillant sans salaire, et le singe récompensé. Le jeune lionceau frémissoit de colere : mon pere, disoit-il, de pareils attentats sont-ils connus du roi ? Comment pourroient-ils l' être ? Disoit le chien : les grands approchent seuls du maître, et les mangés ne parlent pas. Ainsi, sans raisonner de vertu, de prudence, notre jeune lion devenoit tous les jours vertueux et prudent ; car c' est l' expérience qui corrige, et non les discours. à cette bonne école il acquit avec l' âge sagesse, esprit, force et raison. Que lui falloit-il davantage ? Il ignoroit pourtant encor qu' il fût lion ; lorsqu' un jour qu' il parloit de sa reconnoissance à son maître, à son bienfaiteur, un tigre furieux, d' une énorme grandeur, paroissant tout-à-coup, contre le chien s' avance. Le lionceau plus prompt s' élance, il hérisse ses crins, il rugit de fureur, bat ses flancs de sa queue, et ses griffes sanglantes ont bientôt dispersé les entrailles fumantes de son redoutable ennemi. à peine il est vainqueur qu' il court à son ami : oh ! Quel bonheur pour moi d' avoir sauvé ta vie ! Mais quel est mon étonnement ! Sais-tu que l' amitié, dans cet heureux moment, m' a donné d' un lion la force et la furie ? Vous l' êtes, mon cher fils, oui, vous êtes mon roi, dit le chien tout baigné de larmes. Le voilà donc venu, ce moment plein de charmes, où, vous rendant enfin tout ce que je vous doi, je peux vous dévoiler un important mystere ! Retournons à la cour, mes travaux sont finis. Cher prince, malgré moi cependant je gémis, je pleure ; pardonnez : tout l' état trouve un pere, et moi je vais perdre mon fils.


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